Gianni Motti adore brouiller les pistes. Sa biographie, comme ses oeuvres et
performances, gardent toujours une part de mystère. Dans son travail,
des éléments vrais, faux, vécus, inventés ou projetés coexistent.
L'artiste-caméléon peut devenir l'assistant d'un prestidigitateur
ou nous inviter à son propre enterrement, peu importe la métamorphose.
Ce qui est en jeu, à chaque fois, c'est notre système de valeurs,
notre façon de vouloir toujours déterminer ce qui "fait oeuvre",
ce qui "fait sens", ce qui entre dans le champ de l'art et ce
qui en serait exclus.
Gianni Motti voue un grand intérêt aux phénomènes naturels. Tel
un sorcier ou un profanateur, il s'approprie des événements sur
lesquels l'homme n'a aucune prise. L'artiste-démiurge, se référant
à des croyances ancestrales, convie par exemple le public à assister
en son nom à une éclipse. Il apprivoise aussi la trajectoire des
planètes: à Filiale, en effet, dans sa vidéo La lune, il filme
l'astre de manière à ce que sa course vienne se terminer exactement
dans l'angle supérieur droit de son cadrage, comme s'il le lui
avait imposé.
Avec les tremblements de terre, Motti va encore plus loin dans
son appropriation des phénomènes naturels. Dès qu'il apprend qu'un
séisme s'est produit, il se fait photographier tenant dans ses
mains un panneau sur lequel il revendique l'événement. Cette photographie
est ensuite envoyée à plusieurs agences de presse, et est même
parfois publiée aux côtés d'un article relatant la catastrophe.
Par une telle stratégie - qui renvoie aux pratiques propres à
certains terroristes - l'artiste met les médias à son service.
Tous les vecteurs de communication, y compris les réseaux informatiques,
sont utilisé par Gianni Motti pour lui permettre d'atteindre un
maximum de gens. Pareil à l'homme public, au politicien ou au
scientifique, il joue de la crédibilité conférée aux médias pour
garantir l'"authenticité" de ses gestes. En transformant un événement
naturel en un geste artistique, il devient par ailleurs l'auteur
d'un "ready-made tellurique", et réalise ainsi des oeuvres de
land art d'une dimension gigantesque.
A Filiale, où il occupe le dernier étage, l'artiste-terroriste
s'attaque à la structure même de la maison. Il découpe les parois
séparant les salles et le couloir à 30 cm du sol: les trois salles
ne reposent plus sur rien, et semblent flotter dans l'espace.
Seuls deux points d'attache demeurent: la cheminée et un frêle
tuyau. Les sons et les rayons de lumière s'infiltrent d'une pièce
à l'autre, transgressant les limites auparavant imposées par les
murs. Passé l'effet de surprise, nous sommes saisis d'un sentiment
d'insécurité: la maison, construite pour nous protéger, pourrait
s'écrouler, et nous anéantir. Elle le pourrait, mais ne le fera
pas, puisque les murs porteurs n'ont pas été touchés.
Cette intervention nous fait vivre dans notre chair l'expérience
de la fragilité de notre existence et de nos croyances. Et elle
nous rappelle que l'une des fonctions essentielles de l'art est
d'ébranler les "murs" de nos certitudes.
Gianni Motti
Vit à Genève. Il mène une vie exemplaire.
Voir aussi
Cabines de bain
multiples
single use camera show
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